LE JUGE SAISI D’UNE DEMANDE DE RESILIATION PEUT-IL PRONONCER L’ANNULATION DU MARCHE ?
QUELS ETAIENT LES FAITS DE L’ESPECE ?
Dans l’affaire portée devant le Conseil d’Etat, un marché de mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’accompagnement juridique a été attribué pour la construction et la gestion d’un crématorium. Ce marché a été conclu en 2015 par la commune de Sainte-Eulalie. Un avocat candidat à ce marché avait été évincé, il a demandé au juge administratif la résiliation du contrat dans le cadre d’un recours de pleine juridiction.
Par un jugement en date du 6 juin 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la résiliation du marché litigieux. Le requérant ayant interjeté appel, la Cour administrative d’appel a rejeté sa demande et confirmé le jugement de première instance par un arrêt en date du 28 novembre 2019. Le Conseil national des barreaux étant intervenu volontairement à l’instance, ce dernier et le requérant ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
A l’occasion de son arrêt du 9 juin 2021, le Conseil d’Etat est venu rappeler et renforcer les pouvoirs du juge du contrat saisi d’un recours en contestation de la validité du contrat, recours Tarn-et-Garonne (CE, 9 juin 2021, CNB et M. A, req. n°438047).
QUELS SONT LES POUVOIRS DU JUGE DANS LE CADRE DU RECOURS TARN-ET-GARONNE ?
L’arrêt Tarn-et-Garonne a ouvert le recours en contestation de validité du contrat aux tiers en garantissant au juge, dans le cadre d’un tel recours, de larges pouvoirs (CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n°358994).
L’arrêt en cause reprend le considérant le principe qui ouvre ce recours aux tiers susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou les clauses du contrat.
Est ensuite rappelée l’office du juge saisi d’un tel recours. Lorsque l’irrégularité ne peut être couverte par une mesure de régularisation et empêche la poursuite de l’exécution du contrat, le juge prononce, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation, soit l’annulation totale ou partielle si le contrat a un contenu illicite ou s’il est affecté d’un vice d’une particulière gravité.
QUELLE APPRECIATION EXTENSIVE DE CE PRINCIPE L’ARRÊT RETIENT-IL ?
Les précisions apportées
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat renforce l’office du juge du contrat dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne. Le juge utilise les pouvoirs précités pour déterminer les conséquences des irrégularités du contrat. Surtout, il est précisé qu’il n’est pas nécessaire que le requérant ait demandé l’annulation du contrat pour que le juge décide de faire usage de ce pouvoir d’annulation.
En effet, il peut procéder d’office à l’annulation totale ou partielle du contrat, le cas échéant avec un effet différé, quand bien même le requérant n’avait expressément demandé que la résiliation dans son recours en contestation de validité.
L’appréciation en l’espèce
En l’espèce, l’avocat candidat évincé invoquait devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux des vices de nature à entraîner l’annulation du contrat. La Cour avait conclu à l’irrecevabilité de l’appel estimant que ces propos constituaient des conclusions nouvelles en appel puisqu’il n’avait demandé au tribunal administratif que la résiliation du marché public.
Pour autant, le Conseil d’Etat considère que les conclusions du requérant en première instance comme en appel contestaient la validité du contrat litigieux. Dès lors et si les conditions étaient remplies, ces conclusions permettaient au juge du contrat, dès l’introduction de la requête devant le tribunal, de prononcer, le cas échéant d’office, l’annulation du contrat. L’arrêt retient donc une erreur de droit de la Cour administrative d’appel et annule l’arrêt d’appel.
Conclusions
Il ressort de cet arrêt que le juge peut relever d’office un vice d’une particulière gravité et prononcer l’annulation du contrat quand bien même le requérant n’en avait demandé que la résiliation. La haute juridiction considère ainsi que le juge saisi d’une demande de résiliation d’un contrat administratif peut statuer ultra petita, son office n’est pas limité par la demande du requérant.
Cette solution avait déjà été adoptée en matière de recours formé par les parties au contrat contre les mesures d’exécution, recours Béziers II (CE, 27 février 2019, Société Opilo, req. n°410537) et en matière de référé précontractuel (CE, 15 décembre 2006, Société Corsica Ferries, req. n°298618). Il apparaissait donc logique d’étendre cette solution à l’hypothèse d’un recours de pleine juridiction.
Les conclusions aux fins d’annulation du contrat peuvent donc être soulevées pour la première fois en appel.
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décembre 2024
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