L'ALLONGEMENT DU DÉLAI D'EXECUTION EST-IL UNE MODIFICATION ILLICITE DU MARCHÉ ?
Cour de justice de l'Union européenne, 7 décembre 2023, aff. C-441-22 et C-443-22
L'affaire se présentant à la Cour :
Dans cet arrêt, la Cour de justice de l'Union européenne se voit poser plusieurs questions préjudicielles relatives à la modification en cours d'exécution d'un marché public.
Les réponses apportées par la Cour permettrant à la juridiction de renvoi (juridiction administrative bulgare) de déterminer si l'augmentation de la durée d'exécution d'un marché de travaux est illégale.
En principe, toute modification substantielle d'un marché est illégale dès lors qu'elle porte atteinte au principe de concurrence.
En revanche, l'article 72 de la Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics prévoit des exceptions et dispose notamment qu'un marché peut être substantiellement modifié sans nouvelle mise en concurrence :
" lorsque toutes les conditions suivantes sont remplies :
i) la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir ;
ii) la modification ne change pas la nature globale du marché ;
iii) toute augmentation de prix n’est pas supérieure à 50 % de la valeur du marché ou de l’accord-cadre initial. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique à la valeur de chaque modification. Ces modifications consécutives ne visent pas à contourner les dispositions de la présente directive "
La Cour répond, dans cet arrêt, aux deux questions suivantes :
La modification du délai d'exécution du marché constitue-t-elle une modification substantielle même en l'absence d'écrit ?
OUI - La Cour considère que l’intention de renégocier les conditions du marché peut être révélée sous d’autres formes qu’un accord écrit portant expressément sur la modification concernée, une telle intention pouvant notamment être déduite d’éléments écrits établis au cours de communications entre les parties au contrat de marché public.
Dès lors, elle estime que, "aux fins de qualifier une modification d’un contrat de marché public de « substantielle », au sens de cette disposition, les parties au contrat ne doivent pas avoir signé un accord écrit ayant pour objet cette modification, une volonté commune de procéder à la modification en question pouvant également être déduite, notamment, d’autres éléments écrits émanant de ces parties".
Quelle est l'étendue de l'exigence de diligence pesant sur le pouvoir adjudicateur ?
Le pouvoir adjudicateur souhaitant bénéficier de la disposition précitée de l'article 72 de la Directive 2014/24 doit avoir rempli toutes les diligences qui sont attendues de lui lors de la rédaction du marché initial.
La Cour de justice de l'Union européenne interprète cette disposition comme suit : "la diligence dont doit avoir fait preuve le pouvoir adjudicateur pour pouvoir se prévaloir de cette disposition exige notamment que celui-ci ait pris en considération, lors de la préparation du marché public concerné, les risques de dépassement du délai d’exécution de ce marché induits par des causes de suspension prévisibles, telles que les conditions météorologiques habituelles ainsi que les interdictions réglementaires d’exécution de travaux publiées à l’avance et applicables durant une période incluse dans la période d’exécution dudit marché, de telles conditions météorologiques et interdictions réglementaires ne pouvant justifier, lorsqu’elles n’ont pas été prévues dans les documents qui régissent la procédure d’attribution de marché public, l’exécution des travaux au-delà du délai fixé dans ces documents ainsi que dans le contrat initial de marché public".
En l'espèce, l'affaire concerne un contrat d'aménagement de berges. Durant l'exécution de ce contrat, d'une durée prévue de 45 jours, des actes suspendant le délai d’exécution sont intervenus en raison de mauvaises conditions météorologiques et de l’interdiction, en vertu d'une loi nationale sur l’aménagement du littoral de la mer Noire, d’effectuer des travaux de construction et d’installation dans les stations balnéaires nationales de la côte de la mer Noire durant la saison touristique, entre le 15 mai et le 1er octobre. Du fait de ces deux actes, la durée effective d’exécution du contrat a été portée à 250 jours.
Si la Cour de justice ne juge pas ici au fond et que l'affaire n'a pas encore été jugée par la juridiction de renvoi, nous pourrions considérer, à la lumière de ces interprétations fournies par la CJUE, que la modification du délai d'exécution du marché d'aménagement constitue bien une modification substantielle du marché même si elle n'a fait l'objet d'aucun accord écrit.
On peut en revanche penser que le pouvoir adjudicateur ne pourra bénéficier des dispositions précitées de l'article 72 dès lors que ces modifications ont eu lieu du fait de circonstances qui auraient dû êtres prévues au moment de la préparation du marché si celui-ci avait effectué les diligences nécessaires. Dès lors, cette modification substantielle du marché pourrait être considérée illégale.
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